Dur pour les durs

Petites et grosses fortunes de mer - Maux de mer

Le mal de mer à bord du Tomneal

La rubrique "Petites et grosses fortunes" de mer évoque les dangers et difficultés rencontrés par un équipage en croisière sabbatique. Cet extrait traite du mal de mer. Souvent source de ricanements, il peut être un cauchemar pour certains équipiers. La bonne nouvelle est qu'il existe des solutions.


Malgré la journée d'acclimatation à l'îlet Gosier, le spectre du mal de mer est parmi nous. La traversée de la Guadeloupe à Marie-Galante se fait par vent et mer établis. Marianne, ma jeune belle-sœur de seize ans succombe vite aux affres de la nausée. Nous sortons en urgence le seau bleu dédié à l'honorable fonction de réceptacle à vomi.


Le spectacle d'une personne mi-consciente remplissant assidûment un seau posé sur ses genoux me rappelle systématiquement un vieux souvenir de navigation. Il me ramène à une croisière organisée par la mairie d'Aulnay-sous-Bois : le conseil municipal avait voté le financement d'un stage de voile pour les plus durs de ses jeunes zonards préférant les savoir au loin sur l'eau, qu'à Aulnay, à jouer aux gendarmes et aux voleurs. J'étais skipper de l'un des trois bateaux loués pour l'occasion. Le programme prévoyait de nous emmener de Cherbourg à Quimper en trois semaines. Un beau programme. Mais la météo ne l'a pas vu de cet œil. En ce début de mois d'août, le vent a soufflé en tempête pendant une semaine complète.


Nous sommes donc restés cinq jours entiers aux pontons avec une bande de quinze prédélinquants. Après avoir dépensé l'intégralité de l'argent de poche municipal en flipper et baby foot, les jeunes commençaient à s'ennuyer ferme. Imperméables à la poésie de la mer se brisant sur les récifs d'une Normandie sous la pluie. Leur nouveau passe-temps était de débattre si le tournevis ou le marteau était plus adapté pour forcer la portière de la BMW garée sur le parking de la capitainerie. Le skipper responsable de la croisière, décida que malgré la météo, il était temps d'appareiller.


L'accueil fut à la hauteur de nos attentes. Nos petits durs sont subitement devenus des grands mous. La mer quand ça remue, ça fait peur. La première fois, cela fait très peur. Le vent se limitait à un bon six - sept beaufort, par contre, une solide houle s'était formée pendant les cinq jours de tempête. De plus, malgré le blouson de cuir et les santiags échangés contre un kit ciré-bottes, il ne faisait pas chaud. Peur, houle, froid, tout était réuni pour une attaque du mal de mer. À bord, trois de mes cinq équipiers étaient terrassés. Les forts en gueule ne parlaient plus. Les suractifs n'agissaient plus. Je les invitais à sortir de la cabine, à barrer, à laver le pont, à chanter à la gloire de leur maire… en vain, ils se recroquevillaient sur leurs couchettes. La pâleur de leur visage était telle qu'elle semblait fluorescente. Puis avec l'arrivée du vert moisi, la sanction tomba rapidement. Le premier des trois lascars eut le temps de se traîner jusqu'au pont pour vomir. Le second régurgita sur la table du carré, le troisième dans son sac de couchage. La réaction en chaîne amena les deux équipiers encore indemnes au vert moisi. C'était la fête à bord. Je commençais aussi à me sentir mal.
La traversée jusqu’à Perros-Guirec fut longue, très longue. J'alternais avec le seul équipier encore valide, les quarts de barre et les quarts serpillières. Les quatre autres lascars étaient des morts vivants. Afin d'essayer de les ranimer, je les avais amarrés dans le cockpit. Le spectacle était affligeant. Ils vomissaient sans avoir la force de pencher la tête. Les plus chanceux dégorgeaient sur leur ciré, les moins, dans leur ciré. Pour la première fois, j'entendis quelqu'un me dire sérieusement qu'il voulait mourir. Arrivés à Perros-Guirec, neuf des quinze jeunes coururent jusqu'à la gare la plus proche prendre le premier train vers Aulnay. Aux grands maux, les grands remèdes.

Remèdes de grand-mère

Les enfants à bord du Tomneal

Petites et grosses fortunes de mer - Maux de mer


L'histoire des zonards d'Aulnay montre à quel point le mal de mer peut être une torture. Elle démontre l’importance d’en tenir compte avant de sauter dans un bateau en partance autour du monde. Pour se lancer dans un grand voyage mieux vaut en effet, connaître son aptitude au mal de mer et savoir comment le combattre. C'est encore une des raisons les plus fréquentes pour qu'un équipier parti pour trois ans abandonne au bout de trois semaines. L'expérience est alors douloureuse pour tout le monde, notamment si l'équipier en question est votre femme.


Tout le monde est sensible au mal de mer. Plus ou moins. Tout le monde peut le vaincre. Plus ou moins. Les experts expliquent que le mal est lié à l'oreille interne qui perd ses références sur le monde mouvant des océans. Les sourds seraient-ils moins sensibles au mal ? Peu importe l'explication. Lorsque vous subissez l'épreuve du seau qui consiste à le remplir, le vider par-dessus bord sans en mettre à côté et recommencer, seul le remède compte. À bord du TomNeal, nous ne vomissons, ni dans des seaux, ni dans nos cirés. D'ailleurs nous n'avons pas de cirés. Les seules victimes potentielles sont Sarah et Vincent. Après une heure ou deux, par mer formée, à lire ou jouer au fond de la cabine avant, ils sortent en se plaignant d'avoir mal au ventre. En guise de remède, l'un s'endort et l'autre reprend des couleurs en jouant dans le cockpit. Chacun a son remède. J'ai lu dans un récit d'épopées maritimes qu'un vieux capitaine se compressait l'estomac avec une ceinture, j’aime mieux manger un bon sandwich au fromage. Le Maroilles est le plus efficace, mais il est difficile à trouver sous les tropiques. D'autres prennent des médicaments comme la Nautamine. Ils n'ont plus le mal de mer mais sombrent rapidement dans une somnolence pâteuse. Je préfère le Maroilles. Mais le véritable remède ne vous sera donné ni par votre grand-mère bretonne ni par les laboratoires pharmaceutiques. Le seul traitement efficace est de s'amariner. Comme son nom l'indique, s'amariner consiste à devenir de plus en plus marin, c'est-à-dire à passer suffisamment de jours en mer pour oublier que le plancher des vaches ne bouge pas. Deux ou trois jours par vent bien établi suffisent en général.



Si après quelques semaines ou quelques mois en mer, le mal persiste, il faudra envisager des solutions plus radicales. D'abord changez de bateau. Certains navires favorisent le retournement d'estomac. Les pires sont généralement des petits monocoques raides à la toile dont le carré exhale une concoction mariant les effluves de renfermé, de gasoil et de friture. Dans la cabine où vous vous réfugiez, vous êtes accueilli par un relent indéfinissable de moisi et de vomi. Votre seule chance est de rester dans le cockpit mal protégé. Là, vous êtes attaqué par les embruns, le froid et la peur, mais les paquets de mer lavent les souillures dégoulinant le long de votre veste de quart. Si votre bateau est un bon monocoque stable et bien aéré, pensez sérieusement à l’échanger contre un catamaran. Au risque d'être taxé de parti pris, je le réaffirme, la stabilité des deux coques réduit considérablement les attaques du mal mer.


Enfin, si malgré tout, vous êtes toujours anéanti par le mal, mieux vaut considérer que vous n'êtes pas fait pour la croisière hauturière et troquer votre rêve de tour du monde en bateau contre un projet d'horticulture. Honnêtement, je n'ai encore jamais rencontré de personne qui n'ait trouvé un remède au mal de mer. Il est vrai aussi que je ne fréquente pas beaucoup les horticulteurs.

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