Neuf et malade ou vieux et bien portant

Capitaine et armateur - Et si vous achetiez un bateau ?

Carénage du catamaran Tomneal

Cet extrait est issu de la rubrique traitant de l'acquisition du bateau. Il est question ici de l'achat en vue d'un grand voyage d'un bateau d'occasion sortant d'une carrière de location... Les aprioris y sont quelques peu malmenés.


Punta Cana est un mouillage qui accueille rarement plus de deux ou trois bateaux de plaisance à la fois. En général, ils sont américains ou canadiens. La République Dominicaine est sur leur route entre leur port d'attache et les Antilles. Aujourd'hui pourtant le « 'ti punch », un catamaran battant pavillon français vient s'amarrer à côté du TomNeal. Il ne vient pas d'Amérique du nord, mais de notre douce France. L'équipage est composé de Jean et Josette, deux adorables retraités partis de La Rochelle depuis un an et demi. Après la traversée de l'Atlantique, ils ont pas mal traîné au Brésil qu'ils ont beaucoup aimé. Leur catamaran de 38 pieds semble flambant neuf. Et effectivement, Jean et Josette en ont pris possession, il y a deux ans à sa sortie d'usine. Sans surprise, je me retrouve à discuter avec Jean de catamarans. De la même manière que des chauffeurs de taxi se retrouvent pour parler de Mercedes. Lorsque j'apprends à Jean que nous avons acheté le TomNeal d'occasion à une société de location, il me répond que nous avons pris la bonne option. Il insiste en ajoutant que si c'était à refaire, il n'achèterait en aucun cas, un bateau neuf avant de partir en grand voyage mais un bon vieux bateau de loc.


La position de ce capitaine peut sembler un peu extrême, mais mérite d'être partagée. Elle va à l'encontre de bien des idées reçues. D‘après Jean un bateau neuf est généralement beaucoup plus long à préparer au grand voyage qu'un bateau d'occasion car plus encore qu'une Mercedes diesel, un bateau doit être testé et rodé. Dans son cas, il aura fallu six mois et de nombreux allers et retours au chantier pour que le 'ti punch soit prêt à traverser l'Atlantique. L'homme à la retraite a sans doute pris son temps. Mais il a des arguments. Il continue en expliquant qu'il ne faut surtout pas croire que les bateaux neufs et nouvellement équipés sont fiables, au contraire. Il a eu de nombreux problèmes : la BLU ne captait pas, le dessalinisateur ne dessalinisait pas, l'enrouleur de foc n'enroulait pas. Il conclut qu'il ne faut pas être dupe, débourser 300 ou 450 000 euros pour un bateau sortant d'usine n'implique en aucun cas que la belle machine sera exempte de problème.


De même, une fois parti en grand voyage, un bateau sous garantie est plus une contrainte qu'un bénéfice. Jean a toujours eu des problèmes avec ses moteurs. Ils acceptaient bien de passer en marche arrière ou au point mort, mais refusaient parfois la marche avant... Le constructeur du moteur est intervenu plusieurs fois sur les embases, mais en vain, le problème réapparaissait après quelques semaines. Las de courir les mécaniciens, Jean s'est énervé. Lorsque ses lettres recommandées ont parlé de procès, le constructeur s'est décidé à faire un échange standard des embases. Depuis, les moteurs tournent comme des horloges. L'histoire finit bien. Jean n'en reste pas moins amer et remonté contre les bateaux neufs. Au Brésil, explique-t-il, envoyer des lettres recommandées, attendre les réponses, puis trouver un mécanicien pour l'échange standard est un cauchemar qui dure des mois.


Jean continue son réquisitoire. Pour lui, il faut même privilégier les bateaux d'occasion sortant de location par rapport aux bateaux de propriétaire. Il admet que les bateaux loués, du fait de leur utilisation intense, auront un petit air usé, mais il renchérit, pour lui, les questions d'ordre esthétique sont dérisoires comparées à l'importance de la fiabilité d'un bateau. Et les bateaux de location sont plus fiables. L'affirmation est facile à justifier. Il est très coûteux pour une société de location d'avoir des problèmes techniques avec ses bateaux. Si un moteur tombe en panne pendant une location, il faut payer au prix fort un dépannage rapide à l'endroit où se trouve le bateau. De plus, s'il a été immobilisé plus d'une demi-journée, le locataire mécontent demande la baisse du prix de la location. Plutôt que de perdre leur réputation et leur argent, les loueurs sérieux préfèrent donc investir dans une maintenance sans faille. Cqfd.

Entre les problèmes de fiabilité des bateaux neufs, les difficultés d’application des garanties en grand voyage et le nécessaire entretien des bateaux de location, le verdict de Captain Jean est sans appel : il vaut mieux être vieux et bien portant que neuf et malade. Moi, j'aime bien Jean et son discours. Tout comme, si j'avais été chauffeur de taxi, j'aurais apprécié le collègue démontrant que mon bon vieux taco est meilleur que sa Mercedes flambant neuve.

Page 4 sur 18