Le meilleur moyen de perdre son ami

Australopithecus Voilus - Bienvenue à bord

Le règlement à bord du catamaran Tomneal

Cet extrait est issu de la série d'articles "Bienvenue à bord" qui aborde la question de "l'entente cordiale" sur un bateau. Dans ces 3 articles, le sujet traité est plus particulièrement celui des invités à bord et de l'art de la cohabitation.

Notre joyeuse équipe d'invités nous quitte cet après-midi, elle s'envole pour la métropole. Marie-Galante, Petite-Terre, Les Saintes, Deshaies, le Grand-Cul de Sac du Marin, Rivière Salée, nos équipiers intérimaires peuvent se vanter d'avoir découvert une bonne partie de l'archipel de la Guadeloupe. Ils sont ravis de leur séjour à bord du TomNeal. Pour nous, l'équipage permanent, même si nous connaissions déjà la Guadeloupe, nous avons également beaucoup apprécié la croisière. En fait, chacune de nos balades avec des invités à bord a été fort sympathique. 

Alors pourquoi cette éternelle mise en garde au sujet des invitations à bord d'un bateau de voyage ? Faut-il croire, ou non, qu'avoir des invités sur un bateau est le meilleur moyen de perdre ses amis ou de se brouiller avec sa famille ? Sur le TomNeal, l’échantillon d'invités a été très représentatif, allant de parents septuagénaires à la jeune belle-sœur en passant par des familles amies complètes, équipées de préados ou de jeunes enfants… et jamais, nous n'avons ressenti cette haine qui apparaîtrait au bout de quelques jours de vie en communauté sur un voilier. La conclusion est-elle généralisable ? Peut-on lancer des invitations à tout va sur un bateau de voyage, ou mieux vaut-il se conforter dans une prudente vie d'ermite ?

Évidemment qu'il faut inviter vos amis et votre famille sur votre bateau. Partager quelques heureux moments de votre vie en mer offrira à l'équipage et ses invités des souvenirs inoubliables. Toutefois… toutefois, gardez en tête un principe de base : la vie en communauté sur un bateau reste un exercice exigeant tact et finesse et dont la difficulté est proportionnelle à la durée de l'invitation. Les séjours d'une ou deux semaines ne posent généralement pas de problème pour des êtres normalement constitués socialement. Mais avant d’envisager une grande odyssée communautaire, prévoyez une navigation test de quelques semaines, cela devrait mettre en évidence les plus gros risques d'incompatibilité d'humeur.

Charte du parfait invité

L'entretien d'un bateau de voyage
Australopithecus Voilus - Bienvenue à bord

Pour les capitaines les plus méfiants, une autre solution est d'imposer à son bord la charte du parfait invité. Cette charte regroupe la liste des comportements interdits sous peine de débarquement immédiat. Chacun des invités doit la lire à voie haute avant de monter à bord.


• Je ne suis pas chez moi

Même si vos hôtes vous affirment « Fais comme chez toi » n'en croyez rien. Respectez les espaces d'intimité de l'équipage permanent. Évitez également de vous asseoir sur les banquettes du carré avec un maillot trempé d'eau de mer ou d'entrer dans les cabines les pieds pleins de sable.


• Je participe à la vie du bord

Une erreur serait de considérer, sous prétexte d'être en vacances, que vous n'avez rien à faire. Un bateau de voyage offre rarement la formule club. Rechigner, par exemple, à vous déplacer lors d'une manœuvre parce que vous êtes en train de bronzer sur le filet, gâcherait immédiatement l'ambiance. 


• Je ne suis pas difficile

Plus rapidement vous accepterez les contraintes de la vie sur un bateau et mieux ce sera. Les quelques requêtes ci-dessous sont en général très moyennement appréciées : demander de l'eau minérale Vittel car l'eau du dessalinisateur a un petit goût, réclamer de la moutarde de Dijon, du camembert de Vire, de la saucisse de Morteau, du poisson pané de Picard…


• Je ne marche pas sur les talons

Pour une raison mystérieuse, la plupart des gens de terre marchent sur les talons. Un voilier ayant toutes les caractéristiques d'une caisse de résonance, des pas un peu lourds se répercutent dans tout le bateau. Ils auront évidemment le don d'agacer vos coéquipiers. Surtout si vous vous levez au milieu de la nuit pour aller faire pipi à l'avant du bateau.


• J'oublie les infos du 20h

Gardez à l'esprit qu'un équipage de grand voyage vit souvent décalé par rapport au reste du monde. Il s'est progressivement désintéressé des sujets qui alimentent l'actualité terrienne. Abstenez-vous de soliloquer sur le fibrome de Madame la Présidente ou les dernières frasques amoureuses de la famille de Monaco.


• Je vénère l'eau douce 

Considérez l'eau douce comme une denrée rare. La vaisselle, les shampoings et lavages en tout genre relèvent du luxe. Si vous voulez déclencher une hystérie collective, prenez une longue douche au milieu de la nuit. L'effet caisse de résonance ajouté au gaspillage de l'eau est garanti.

• Je vénère l'électricité

Idem pour l'électricité, économisez. Sinon, vous découvrirez que la tension nerveuse sur un voilier est proportionnelle à la tension électrique consommée. 

• Je ne fais pas la leçon au capitaine

Pour mettre un capitaine à cran, expliquez-lui sur un ton ferme et pédant que sa manière de faire n'est pas bonne. Deux ou trois essais suffiront pour bénéficier du spectacle d'un capitaine en pleine crise d'épilepsie.

Charte du savoir recevoir

Donkey sanctuary Bonnaire Histoires de Partir

Australopithecus Voilus - Bienvenue à bord

Faire signer la charte du parfait invité à vos équipiers temporaires résoudrait peut-être des problèmes de cohabitation. Mais une ambiance exécrable sur un bateau n'est pas toujours du fait des invités… La vie en mer a tendance à faire oublier les règles du savoir recevoir. Un équipage de grand voyage prend souvent des habitudes en dehors des normes pour un terrien. Voici une liste de quelques attitudes à éviter le temps d'accueillir vos invités. Sauf bien sûr, s'il s'agit de votre belle-mère et que vous vous êtes juré de ne jamais plus la revoir à bord.

• Attention au mal de mer
Vos invités sont des terriens, ils sont fragiles. Évitez, par exemple, de prendre la mer par quarante nœuds de vent, le jour même où ils embarquent. Le voyage commencerait alors avec une épidémie de mal de mer. C'est le meilleur moyen pour que vos invités développent une rancœur tenace et méritée à votre égard.

• Gare à l'avarice
Vos équipiers intérimaires n'ont aucune idée de la valeur de l'électricité et de l'eau sur un bateau. Expliquez-leur gentiment les règles d'économies de base, mais mettez également un frein à vos velléités d'une chasse au gaspi sans merci. Si vous ne bridez pas un peu vos habitudes de parcimonie, vous serez vite considéré par vos invités comme un radin pathologique.

• Souvenez vous du mot « convenance »
C'est vrai, vous avez quitté votre vie terrienne car ses règles vous semblaient artificielles ou hypocrites. C'est vrai, sur votre bateau vous avez toujours été très nature. Pour autant roter à chaque fin de repas ne sera pas forcément apprécié de tout le monde. Dans le même sens, déambuler nu à toute heure de la journée pourra en gêner quelques uns.

• Oubliez mai soixante-huit
Certaines conversations très prisées par les navigateurs risquent d'être inappropriées avec vos invités. Inutile, par exemple, d'affirmer que depuis que vous avez « quitté cette vie de con », c'est-à-dire votre vie de terrien, vous avez compris à quel point il fallait être borné pour rester un employé citadin. Inutile également de vous vanter de vivre en mer depuis dix ans grâce au RMI et à « ces pauvres rats de salariés qui cotisent ». À l'inverse, il ne serait pas non plus de bon ton de vous plaindre de la difficulté de la vie en croisière sabbatique alors que la plupart de vos invités se limitent à cinq semaines de congés par an.

• Vos invités ne sont pas les mousses du bord
Il serait tentant de former vos invités à la dure école de la mer, d'autant plus qu'ils vous sont redevables de l'expérience inoubliable d'être à bord de votre navire. La tentation serait alors grande de leur réserver toutes les sales besognes et de les engueuler à la première occasion. Par exemple, parce qu'ils ne winchent pas assez vite ou qu'ils ont oublié de remonter l'annexe. La méthode n'est pas la plus sûre pour garder l'entente cordiale à bord.

De toute évidence, aucun capitaine ne se reconnaîtra dans les lignes ci-dessus. Pourtant, en cas de friction ou de conflit avec vos invités, relisez attentivement cette charte du savoir recevoir sur un bateau. Vous serez peut-être surpris

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